samedi 8 février 2014

L’intolérance vis-à-vis des immigrés en France : l’environnement des personnes pèse-t-il sur leur xénophobie ? (1)

Les enjeux liés à la xénophobie et les attitudes à l’égard des immigrés sont de plus en plus saillants en France. D’une part, et selon l’OCDE, la France fait partie des cinq pays industrialisés ayant la plus forte proportion de population immigrée. D’autre part, la faible croissance de cette population durant ces dernières décennies a coïncidé avec les succès électoraux du Front National, ainsi qu’avec la création d’un ministère de l’immigration et l’identité nationale et les nombreux débats qui en ont découlé y compris ceux animés par ce ministère. Curieusement, et paradoxalement, une analyse détaillée et exhaustive des causes de la xénophobie en France n’a pas encore été menée.
De nombreux travaux ont cherché à comprendre les logiques du vote en faveur de l’extrême droite, d’autres ont fourni un descriptif précis et global des tendances xénophobes en France, mais aucune étude n’a directement analysé les facteurs qui peuvent rendre les français plus ou moins xénophobes ou inversement plus ou moins tolérants, et ce, indépendamment de leurs idées politiques. Or, aujourd’hui, avec les volets français des enquêtes internationales, il est possible d’étudier les logiques de la tolérance à l’aide de questionnaires robustes et fiables.
Parmi les logiques de la tolérance, deux effets contextuels, c’est-à-dire liés à l’environnement des personnes, sont traditionnellement mis en avant par les études internationales, mais n’ont jusqu’à présent jamais fait l’objet d’une validation empirique en France. Il s’agit de l’effet contact et de l’effet compétition.

L’effet contact : les opportunités d’échange mènent à la tolérance

L’hypothèse d’un effet de contact soutient que le contact personnel entre membres de groupes différents va produire des niveaux plus faibles d’attitudes négatives à l’égard des membres des autres groupes. L’interprétation psychologique de cette relation causale repose sur l’idée que le contact personnel produit empathie et familiarité et conduit par là à réduire les préjugés et les différences perçues. A l’origine, ce mécanisme concernait les différences raciales aux Etats-Unis, mais il a été appliqué avec succès à la question de l’immigration et de la xénophobie. Selon l’effet contact, plus il y a d’étrangers dans l’entourage d’un natif, plus ce dernier sera tolérant.
A partir de l’European Survey Value, on peut mesurer la tolérance moyenne dans les départements français couvert par l’étude. Ce « niveau départemental » de tolérance peut être associé à la plus ou moins grande présence d’individus d’origine étrangère dans le département. La Figure ci-dessous montre clairement que la tolérance dans un département est positivement associée avec une plus forte proportion d’étrangers qui y résident.

Tolérance moyenne par département et proportion de population étrangère


Note : le point anormal en haut à gauche de la figure correspond au Cantal qui regroupe 8 individus dans l’enquête, qui font preuve d’une forte tolérance.

Cet effet au niveau départemental est confirmé par notre étude au niveau individuel. Un individu est d’autant plus tolérant vis-à-vis de l’immigration qu’il vit dans un département où la proportion d’étrangers est importante, une fois les autres facteurs explicatifs de la tolérance contrôlés. Cet effet, statistiquement significatif, est d’une ampleur relativement importante, puisque lorsque la proportion départementale d’immigrés augmente de 1%, l’indice de tolérance d’une personne augmente de 0,04%.


L’effet compétition : quand la concurrence économique mène à l’intolérance

Selon l’hypothèse d’un effet de compétition, quand les migrants ont les mêmes compétences sur le marché du travail que les natifs, ils entrent en concurrence avec ces derniers et tendent, pour cette raison, à être rejetés. Deux mécanismes psychologiques sous-jacents peuvent être distingués.
Un premier mécanisme repose sur l’idée qu’un niveau élevé de solidarité à l’intérieur d’un groupe peut produire des attitudes hostiles à l’égard des membres des autres groupes, s’ils sont perçus comme des menaces. Dans ce cas, chaque individu est motivé par une solidarité et une attitude « socio-tropique » spécifiquement réservée aux membres du groupe auquel il s’identifie. Par conséquent, ces individus n’ont pas besoin de se sentir eux-mêmes menacés par la concurrence des immigrés : il suffit qu’ils pensent que les membres de leur groupe le soient.
Le second mécanisme psychologique, en revanche, est basé sur une compétition individuelle et est alternatif à l’hypothèse de contact. L’idée est que l’interaction entre natifs et immigrés produit de la coopération, sauf s’ils sont en concurrence sur le marché du travail. Dans ce cas, l’interaction produit un rejet des immigrés et de l’intolérance. Ce mécanisme est utilisé pour expliquer, par exemple, la plus grande intolérance parmi les natifs ayant un faible niveau d’études ou de qualifications professionnelles.
L’intensité de la compétition sur le marché du travail est mensurée par le taux de chômage dans chaque département. Lorsque le chômage est élevé, les places sont chères et la compétition est accrue. La Figure ci-dessous montre bien une relation négative entre le niveau moyen de tolérance et le taux de chômage. De nouveau, cette relation est confirmée au niveau individuel : une augmentation de 1% du taux de chômage départemental d’une personne entraîne une diminution de son indice de tolérance de 0,1% ; et ce, une fois pris en compte les autres facteurs d’explication de la tolérance individuelle.

Tolérance moyenne par département et taux de chômage
Note : le point anormal en haut à gauche de la figure correspond au Cantal qui regroupe 8 individus dans l’enquête, qui font preuve d’une forte tolérance.

Il apparaît ainsi que les niveaux de tolérance ou d’intolérance des français vis-à-vis de l’immigration, sont influencés par leur environnement et, plus précisément, par un effet contact ainsi qu’un effet compétition. Pour autant, il faut poursuivre l’analyse de manière à savoir si, d’une part, ces deux effets peuvent être influencés par des caractéristiques individuelles et, d’autre part, ces deux effets interagissent entre eux, ou non.

La suite ici

Abel François
et Raul-Magni-Berton



Ce texte s'appuie sur un article publié dans la revue française de sociologie.
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