lundi 23 juin 2014

Les français aiment-ils que leurs élus cumulent ?

Alors que le débat sur le cumul des mandats au sein du personnel politique français est virulent, notamment en raison de la nouvelle réglementation votée récemment, il demeure une incertitude forte concernant sa perception par les électeurs. En effet, d’un côté toute une série de sondages tend à montrer que le cumul est négativement perçu par les répondants, mais d’un autre côté des candidats qui cumulent sont régulièrement élus/réélus et semblent même bénéficier d’une prime électorale, ce qui montrerait plutôt une valorisation positive de cette pratique de la part des électeurs. Nous avons donc deux mesures contradictoires de la perception par les français du cumul des mandats.
Au-delà de leurs conclusions contradictoires, il apparaît difficile de trancher entre ces deux mesures de la perception par les électeurs, car toutes les deux souffrent de défauts et limites. Ainsi, les sondages peuvent refléter des biais de sincérité de la part des enquêtés notamment en période de forte médiatisation négative du phénomène, ou bien la formulation des questions peut entraîner une distinction entre l’évaluation sur le principe du cumul et celle sur son application aux représentants effectifs de l’interviewé. De la même manière, il peut être objecté que la prime électorale au cumul ne peut pas refléter les préférences des électeurs car les candidats des principaux partis politiques sont des cumulants. Plus trivialement, si les citoyens élisent des hommes politiques cumulant c’est parce que leur choix est restreint, au moins parmi les grands partis politiques, à des candidats qui cumulent.
Pour sortir de cette impasse, il est donc nécessaire de trouver une mesure alternative ; mesure qui soit plus engageante que de répondre à un sondage, mais où la possibilité d’expression des choix soit plus importante qu’un choix électoral contraint par les sélections en amont effectuées par les partis.
Les dons faits par les électeurs lors des campagnes électorales offrent une telle solution. L’hypothèse est que les dons qu’effectuent les électeurs reflètent, entre autres choses, leur évaluation de la situation en matière de cumul des mandats de leur député sortant. C’est-à-dire qu’un électeur qui a évaluation positive du cumul des mandats pourra accroître ses contributions aux candidats qui sont en situation de cumul et qu’inversement, un électeur qui a une évaluation négative du cumul des mandats n’effectuera pas de dons.
Cette hypothèse est testée sur les contributions collectées par les députés sortants aux élections législatives de 2007. Mais pour s’assurer de mettre en évidence correctement cette relation, ou l’absence de relation, entre le cumul des mandats et les montants collectés auprès des électeurs, il est nécessaire de contrôler les autres facteurs explicatifs de la collecte de contributions. C’est pourquoi, une estimation multivariée de ces dons est menée de manière à mettre en lumière les effets toute chose égale par ailleurs du cumul des mandats.

Nous nous intéressons aux comptes de campagne des élections législatives de 2007 des 455 députés sortants qui sont candidats en métropole et en particulier aux dons collectés rapportés au nombre d’inscrit. Les dons s’élèvent en moyenne à 14 centimes par candidat et par inscrit, avec un maximum de plus de 2 euros par inscrit. Il faut noter que seuls 59 candidats n’ont pas reçu de contribution des électeurs, soit un peu moins de 13% de l’échantillon. Les dons représentent une part non négligeable des financements des campagnes puisqu’en moyenne ils correspondent à 22% des recettes obtenues.
Concernant le cumul des mandats locaux parmi les 455 députés qui se représentent, 7,5% ne détiennent aucun mandat, 57,4% en détiennent un seul, 31,2% deux, et 3,6% en détiennent trois, soit plus de 92% de députés cumulant. Les mandats liés aux communes sont les plus représentés puisque 306 candidats siègent dans un conseil municipal, 116 dans un conseil intercommunal, 118 dans un conseil général et 43 dans un conseil régional. Par conséquent, la fonction de maire est la plus fréquente avec plus de la moitié des candidats qui sont maires, 14 président un conseil général et 3 un conseil régional.
Les résultats des estimations multivariées indiquent clairement que le cumul ne permet pas d’obtenir plus de financement en provenance des particuliers. Le cumul de simple mandat comme celui de fonctions dans les exécutifs locaux ne se traduit pas par un accroissement des dons récoltés auprès des électeurs. Pour autant, cela ne réduit pas non plus les contributions. Ce résultat est particulièrement stable puisqu’il est identique quand on fait varier la mesure utilisée : les dons par inscrits ou la part des dons dans les recettes du candidat.

En ce qui concerne le type de mandat, aucune collectivité territoriale ne se distingue, en revanche parmi les fonctions de direction d’une collectivité locale, seul le maire se différencie. Que ce soit par rapport à un candidat qui ne participe à aucun exécutif local  ou par rapport à tout autre candidat qui n’est pas maire, un maire obtient plus de financement de la part des électeurs, tant en termes de dons par inscrits qu’en proportion de ses recettes. Ainsi, le fait d’être maire se traduit par une augmentation de 3 centimes (par rapport à tout autre candidat) ou 4 centimes (par rapport à un candidat qui ne siège pas dans un exécutif local) par inscrit dans la circonscription. L’effet n’est pas négligeable quantitativement puisque rapporté au montant moyen de 14 centimes par inscrit cela représente une hausse de 21% des dons des électeurs. De la même manière, le statut de maire s’accompagne d’un accroissement de la part des dons des électeurs dans les recettes totales de 6 points de %, à rapprocher de la part moyenne de 22%.
En conséquence, les électeurs ne valorisent pas le cumul des mandats de leur représentant, et ils ne le sanctionnent pas non plus d’un point de vue financier. Dit autrement, les électeurs sont indifférents dans leur pratique de don durant les campagnes électorales au cumul des candidats sortants. En revanche, ils valorisent fortement, et ce, indépendamment du nombre de mandats locaux détenus, la fonction de maire en octroyant plus de soutien financier aux maires. Nous retrouvons ici un résultat classique de la science politique français concernant l’importance de la fonction municipale dans les perceptions de la politique par les électeurs.

Au final, on peut en conclure que la situation des électeurs et des administrés vis-à-vis du cumul des mandats est bien plus complexe que la simplification des débats ne le laisse entendre. Il apparaît, au regard de ces résultats que, d’une part, l’argument du soutien électoral aux candidats qui cumulent n’est pas validé puisque ce sont les maires qui obtiennent ce soutien et non pas ceux qui détiennent plusieurs mandats, et d’autre part, le rejet du cumul des mandats par les électeurs n’est pas si évident que cela puisque ces derniers valorisent la double fonction de député maire. Au final, les électeurs semblent plutôt indifférents aux pratiques de cumul de leur député sortant.

Abel FRANCOIS

Cette note reprend les conclusions de l’étude publiée dans French Politics : "Do French people like the “cumul des mandats” of their representatives?", French Politics, 11(2) : 204-215, 2013.


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