jeudi 19 février 2015

Et revoilà le 49.3...


L'annonce du recours à l'article 49.3 de la Constitution pour l'adoption de la “Loi Macron” a soulevé un tollé dans la classe politique et la presse. Ce n'est guère nouveau. A chaque recours à cet article, des cris d’orfraie sont poussés de la part des partis d’opposition et, au mieux, des silences gênés étouffent certains membres de la majorité.


Créé par la constitution de 1958, le '49.3' est mal aimé. La raison en est simple: la procédure coupe court au débat et à la procédure législative normale. Dans sa rédaction originale, l'article est très explicite :

Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent

Autrement dit, une fois que l'annonce est faite, la loi est adoptée sauf si les opposants au texte réunissent une majorité de votes pour engager la confiance du gouvernement et le forcer à démissionner ! A l'origine, ce texte était pensé comme une protection pour l'exécutif contre les dérives du « régime d'assemblée » de la IVe République. En effet, au cours de la IVe nombre de gouvernements avaient démissionné suite à un vote défavorable sur un projet de loi. L'article 49 envisage les procédures de mise en cause de la responsabilité des gouvernements de manière restrictive. Cela a en effet permis de rendre plus stables les gouvernements et moins dépendants de majorités fragiles. Mais force est de reconnaître qu'il s'est progressivement transformé en un outil au seul service de l'exécutif, même en l'absence de danger véritable pour le gouvernement.

Comme pour chaque recours au 49.3, des voix dans tous les camps critiquent ce choix de manière virulente. Et nombreux sont ceux qui rappellent que les deux têtes actuelles de l'exécutif se sont prononcées contre le recours au 49.3. Le Huffington Post indique que François Hollande avait parlé de la “suppression du 49-3” en 2007 (ainsi que de bien d'autres mesures, depuis oubliées, destinées a renforcer les pouvoirs du Parlement) et que le Premier ministre Manuel Valls faisait partie d'un groupe de députés qui, en 2008, a présenté un amendement tendant à supprimer purement et simplement l'article 49.3.

Ils s'étaient ainsi opposés à la seule réforme de cet article, qui a eu lieu en 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Elle était considérée comme trop timide. En effet, cette réforme n'abolit pas l'article mais en limite sensiblement l'utilisation. Désormais, le recours est limité à un pour un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale et « un autre » texte par session. Autrement dit, l'usage est limité à deux par session et dix pour une législature qui va à son bout, à raison de deux par an.

Le graphe ci-dessus comptabilise le nombre recours par législature. Cela inclut des législatures « complètes » comme les trois dernières, mais aussi des plus courtes, comme la 10e (1993-1997) ou la 8e (1986-1988). La bande bleu-rouge en haut du graphe indique la couleur de la majorité pour chaque législature (bleu=droite, rouge=gauche).



Le champion historique du 49.3 est Michel Rocard, au cours de la 9e législature, où la gauche détenait en théorie la majorité absolue à l'Assemblée, mais ne pouvait de fait pas compter sur le Parti communiste. Avec 28 recours à lui tout seul, il est à l'origine d'un tiers des 83 recours à ce jour. Edith Cresson, au cours de la même législature, y avait eu recours presque une fois par mois. Avant eux, Pierre Mauroy, Raymond Barre et Jacques Chirac pendant la cohabitation de 1986 avaient été des utilisateurs réguliers. Et systématiquement, l'usage avait été dénoncé par l'opposition et, souvent également, des membres de la majorité.

François Fillon, seul premier ministre du quinquennat de Nicolas Sarkozy, n'a jamais eu recours au 49.3 en 5 ans de gouvernement. Le dernier recours en 2006 avait porté sur le « contrat première embauche ». Dominique de Villepin était alors passé en force soulevant des critiques y compris dans son propre camp et, surtout, pour un texte qui ne sera finalement jamais mis en œuvre.

Si l'opposition et souvent aussi une grande partie de la majorité s'opposent au recours au 49.3, 
alors pourquoi n’est-il pas aboli une fois une majorité au pouvoir? Une réponse simple consisterait à rappeler que le monde ne se présente pas de la même manière depuis Matignon ou l’Élysée que depuis les bancs de l'opposition. Le même outil peut ainsi paraître très attrayant aux yeux du gouvernement et très contestable aux yeux de l'opposition. Et l'article 49.3 n'est pas le seul exemple à illustrer cet état des choses. Mais les raisons fondamentales de ce revirement pratiquement systématique dans l'attitude face au 49. 3 sont à chercher dans les fonctions de l'article lui-même.

Le 49.3 est très utile au gouvernement. Les raisons mises en avant pour justifier son utilisation sont toujours similaires : « l'urgence », la « nécessité » ou « pas de temps à perdre ni de risques à prendre » comme le remarque François Hollande. En effet, dans un contexte de crise ou de divisions à l'intérieur de la majorité, le 49.3 apparaît comme une arme de dernier ressort, une manière de s'appuyer sur sa majorité en la confrontant au danger de nouvelles élections. Ainsi, sans même avoir besoin de ressouder la majorité autour d'un texte acceptable pour tous les partenaires, le 49.3 permet au parti du premier ministre de s'appuyer sur l'absence d'opposition, plutôt que sur la présence de sa majorité, pour faire adopter un texte qui lui semble crucial.

S'il est vrai que les parlementaires n'aiment pas le 49.3, il peut avoir des avantages également à leurs yeux. Il permet notamment à des « petits partis » ou partenaires minoritaires du gouvernement de se désolidariser du gouvernement sur un texte précis. Ainsi, l'aile gauche du PS ou EELV peuvent se distancer publiquement d'un texte, comme la Loi Macron, signalant leur désaccord à leurs électeurs, tout en sachant pertinemment qu'ils ne peuvent pas véritablement empêcher l'adoption du texte. Ce faisant, ils espèrent fidéliser un électorat particulier, peut-être hostile au texte. Ainsi, le 49.3 remplit aussi des fonctions 'électorales', comme l'avait modélisé John Huber il y a 20 ans1.

Il s'agit donc d'un outil assez précieux. S'en séparer serait présomptueux de la part d'aspirants au métier de gouverner. Et c'est sans doute ce qui explique la grande différence entre les projets des partis d'opposition concernant le 49.3 et leur mise en œuvre (ou, plutôt, l'absence de mise en oeuvre) une fois que ces partis arrivent au pouvoir. On peut donc s'attendre à voire revenir les discours indignés d'anciens membres de gouvernement, dénonçant le déni de démocratie, le mépris du Parlement… à l'occasion du prochain recours par le prochain gouvernement.


Emiliano Grossman


1John D. Huber, Rationalizing parliament: legislative institutions and party politics in France. Cambridge University Press, 1996.

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